Le marché des assurances cyber-risques : quelles protections pour les entreprises face aux cyberattaques ?

Face à la multiplication des cyberattaques ciblant les entreprises, le marché des assurances cyber-risques connaît une croissance exponentielle en France. Ces polices d'assurance spécialisées visent à protéger les organisations contre les conséquences financières et opérationnelles des incidents de cybersécurité. Mais quelles sont réellement les garanties offertes ? Comment les assureurs évaluent-ils les risques cyber d'une entreprise ? Quels sont les acteurs majeurs de ce marché en pleine expansion ?

Évolution du marché des assurances cyber-risques en france

Le marché français des assurances cyber-risques a connu une croissance spectaculaire ces dernières années. Selon les chiffres de la Fédération Française de l'Assurance, les primes collectées sont passées de 40 millions d'euros en 2016 à plus de 200 millions d'euros en 2022, soit une multiplication par 5 en 6 ans. Cette explosion s'explique par une prise de conscience accrue des entreprises face à la menace cyber, mais aussi par l'évolution du cadre réglementaire avec l'entrée en vigueur du RGPD en 2018.

Les PME et ETI constituent désormais le cœur de cible des assureurs cyber, alors qu'historiquement ce marché était plutôt orienté vers les grands groupes. On estime que seulement 10% des PME françaises sont aujourd'hui couvertes contre les cyber-risques, ce qui laisse entrevoir un potentiel de croissance considérable pour les années à venir.

Cependant, la multiplication des sinistres cyber de grande ampleur ces dernières années a conduit les assureurs à durcir leurs conditions de souscription et à augmenter sensiblement leurs tarifs. Le ratio sinistres/primes s'est en effet fortement dégradé, atteignant 113% en 2021 selon l'AMRAE. Face à cette situation, certains assureurs ont même décidé de se retirer temporairement du marché.

Typologie des cyberattaques ciblant les entreprises françaises

Les entreprises françaises font face à une diversité croissante de menaces cyber. Comprendre ces différentes formes d'attaques est essentiel pour mieux s'en protéger et souscrire une assurance adaptée. Voici un panorama des principales cyberattaques visant les organisations :

Ransomwares : cas Wannacry et Notpetya

Les ransomwares ou rançongiciels constituent aujourd'hui la menace n°1 pour les entreprises. Ces logiciels malveillants chiffrent les données de la victime et exigent une rançon pour les déchiffrer. En 2017, les attaques WannaCry et NotPetya ont frappé des milliers d'organisations dans le monde, causant des dégâts estimés à plusieurs milliards d'euros. En France, le constructeur automobile Renault a été durement touché, avec un arrêt de production sur plusieurs sites.

Les ransomwares ciblent désormais spécifiquement les entreprises, avec des rançons pouvant atteindre plusieurs millions d'euros. L'attaque contre Sopra Steria en 2020 aurait ainsi coûté près de 50 millions d'euros à l'entreprise. Face à cette menace, les assureurs ont durci leurs conditions et excluent parfois le paiement des rançons de leurs garanties.

Attaques ddos : impact sur les e-commerçants

Les attaques par déni de service distribué (DDoS) visent à submerger les serveurs d'une entreprise pour rendre ses services inaccessibles. Ces attaques sont particulièrement redoutables pour les e-commerçants qui peuvent voir leur chiffre d'affaires s'effondrer en cas d'indisponibilité prolongée de leur site web.

En 2020, plusieurs grands noms du e-commerce français comme Cdiscount ou la Fnac ont été victimes d'attaques DDoS massives, entraînant des pertes financières conséquentes. Les assurances cyber intègrent généralement une garantie perte d'exploitation pour couvrir ce type de sinistre.

Vol de données : affaire Uber et conséquences RGPD

Le vol et la fuite de données sensibles représentent un risque majeur pour la réputation et les finances des entreprises. L'affaire Uber en 2016, qui a touché 57 millions d'utilisateurs dont 1,4 million de Français, illustre les conséquences désastreuses d'une telle attaque : sanction record de 385 millions d'euros infligée par les autorités européennes pour non-respect du RGPD.

Les polices d'assurance cyber couvrent généralement les frais de notification aux personnes concernées, les éventuelles sanctions administratives (dans la limite de l'assurabilité) ainsi que les frais de défense juridique en cas de recours de tiers. La prise en charge des dommages réputationnels reste en revanche plus limitée.

Phishing ciblé : techniques d'ingénierie sociale avancées

Le phishing ou hameçonnage connaît une sophistication croissante, avec des techniques d'ingénierie sociale de plus en plus élaborées. Les attaques de type "fraude au président" ou "changement de RIB" ont ainsi causé des préjudices financiers considérables à de nombreuses entreprises françaises ces dernières années.

En 2019, le groupe Pathé a été victime d'une escroquerie au faux ordre de virement qui lui a coûté plus de 19 millions d'euros. Les assurances cyber proposent désormais des garanties spécifiques contre ce type de fraude, mais avec des plafonds souvent limités.

Composantes essentielles d'une police d'assurance cyber

Une police d'assurance cyber complète doit couvrir l'ensemble des risques liés à une cyberattaque. Voici les principales garanties que vous devriez retrouver dans votre contrat :

Couverture des pertes d'exploitation post-incident

Cette garantie fondamentale vise à compenser les pertes financières subies suite à une interruption totale ou partielle de l'activité causée par un incident cyber. Elle peut inclure :

  • La perte de marge brute
  • Les frais supplémentaires d'exploitation
  • Les pénalités contractuelles liées aux retards de livraison

Le calcul de l'indemnisation se base généralement sur une période d'indemnisation définie au contrat, qui peut aller de quelques jours à plusieurs mois selon les polices.

Prise en charge des frais de notification et de gestion de crise

En cas de violation de données personnelles, l'entreprise a l'obligation légale de notifier les personnes concernées ainsi que la CNIL dans un délai de 72 heures. L'assurance cyber prend en charge :

  • Les frais d'envoi des notifications
  • Les coûts de mise en place d'un centre d'appel dédié
  • Les honoraires des experts en gestion de crise et communication

Ces garanties sont essentielles pour gérer efficacement les conséquences d'une cyberattaque et limiter l'impact sur la réputation de l'entreprise.

Protection juridique face aux recours de tiers

Une cyberattaque peut engager la responsabilité civile de l'entreprise vis-à-vis de ses clients, partenaires ou fournisseurs. L'assurance cyber couvre :

  • Les frais de défense juridique
  • Les dommages et intérêts éventuellement dus aux tiers
  • Les sanctions administratives (dans la limite de leur assurabilité)

Cette garantie est particulièrement importante dans le contexte du RGPD qui prévoit des sanctions pouvant atteindre 4% du chiffre d'affaires mondial.

Services de réponse à incident et d'investigation numérique

Les polices d'assurance cyber modernes incluent généralement des services d'assistance technique spécialisés :

  • Équipe de réponse à incident 24/7
  • Investigation numérique et analyse forensique
  • Restauration des systèmes et des données

Ces services permettent une prise en charge rapide et efficace de l'incident, limitant ainsi les dommages pour l'entreprise.

Acteurs majeurs du marché français de l'assurance cyber

Le marché français de l'assurance cyber est dominé par quelques acteurs clés, principalement des groupes internationaux spécialisés dans les risques d'entreprise. Parmi les leaders, on peut citer :

AXA XL, filiale du groupe AXA dédiée aux grands risques, qui propose une offre cyber complète s'appuyant sur une équipe d'experts dédiés. Chubb, assureur américain très présent sur le segment des ETI et grands comptes, avec une forte expertise en matière de cyber-risques. Hiscox, assureur britannique pionnier de l'assurance cyber en France, qui cible particulièrement les PME et professions libérales.

On trouve également des acteurs français comme Generali ou MAIF qui se positionnent de plus en plus sur ce marché en pleine croissance. Les courtiers spécialisés comme Marsh, Aon ou Gras Savoye jouent par ailleurs un rôle clé dans la distribution des polices cyber et l'accompagnement des entreprises dans leur stratégie de transfert de risques.

Enfin, de nouveaux acteurs innovants comme Stoik ou Luko commencent à émerger, proposant des offres 100% digitales ciblant les TPE/PME avec des processus de souscription simplifiés.

Processus d'évaluation des risques cyber par les assureurs

L'évaluation des risques cyber d'une entreprise est un processus complexe qui mobilise des expertises variées. Les assureurs s'appuient sur plusieurs outils et méthodologies pour quantifier le risque et déterminer les conditions de souscription :

Audit de maturité cybersécurité : référentiel NIST

La plupart des assureurs utilisent le référentiel NIST (National Institute of Standards and Technology) comme base pour évaluer la maturité cyber d'une organisation. Ce cadre couvre 5 fonctions clés :

  • Identifier
  • Protéger
  • Détecter
  • Répondre
  • Récupérer

Un questionnaire détaillé permet d'évaluer le niveau de l'entreprise sur chacune de ces fonctions et d'identifier les axes d'amélioration.

Analyse des vulnérabilités techniques : outils de scanning

Les assureurs utilisent des outils automatisés de scanning pour détecter les vulnérabilités techniques sur le périmètre externe de l'entreprise (sites web, serveurs exposés, etc.). Ces scans permettent d'identifier rapidement les failles de sécurité évidentes qui pourraient être exploitées par des attaquants.

Certains assureurs vont jusqu'à réaliser des tests d'intrusion plus poussés, avec l'accord de l'entreprise, pour évaluer la robustesse des défenses en place.

Évaluation de la gouvernance et des processus de sécurité

Au-delà des aspects techniques, les assureurs s'intéressent de près à la gouvernance de la sécurité au sein de l'entreprise :

  • Existence d'une politique de sécurité formalisée
  • Sensibilisation et formation des collaborateurs
  • Processus de gestion des accès et des identités
  • Plan de continuité d'activité et de reprise après sinistre

Ces éléments sont essentiels pour évaluer la capacité de l'entreprise à prévenir et gérer efficacement un incident cyber.

Modélisation financière des scénarios de cyberattaques

Pour déterminer le montant des garanties et des primes, les assureurs s'appuient sur des modèles actuariels complexes qui simulent différents scénarios d'attaques et leurs impacts financiers potentiels. Ces modèles prennent en compte de nombreux paramètres comme :

  • Le secteur d'activité de l'entreprise
  • Sa taille et son chiffre d'affaires
  • La nature des données traitées
  • Son exposition géographique
  • Ses antécédents en matière d'incidents cyber

La qualité et la précision de ces modèles sont un enjeu majeur pour les assureurs qui cherchent à affiner en permanence leur tarification du risque cyber.

Enjeux et perspectives du marché de l'assurance cyber en France

Le marché français de l'assurance cyber est confronté à plusieurs défis majeurs qui vont façonner son évolution dans les années à venir. Tout d'abord, l'explosion de la sinistralité observée ces dernières années pose la question de la rentabilité à long terme de cette branche pour les assureurs. Certains acteurs pourraient être tentés de se désengager du marché ou de durcir drastiquement leurs conditions, au risque de rendre la couverture cyber inaccessible pour de nombreuses entreprises.

Par ailleurs, le manque de données historiques sur les sinistres cyber rend difficile une tarification précise du risque. Les assureurs doivent continuer à investir massivement dans la modélisation et l'analyse des risques pour affiner leurs approches. La mutualisation des données entre assureurs, dans le respect du droit de la concurrence, pourrait constituer une piste intéressante pour améliorer la connaissance collective du risque cyber.

L'évolution rapide des menaces cyber pose également un défi de taille. Les assureurs doivent sans cesse adapter leurs produits et leurs processus d'évaluation des risques pour rester en phase avec les nouvelles for

mes d'attaques. La généralisation de l'intelligence artificielle et du machine learning, tant du côté des attaquants que des défenseurs, va probablement bouleverser le paysage des risques cyber dans les années à venir. Les assureurs devront faire preuve d'agilité pour adapter leurs offres à ces nouvelles réalités.

Enfin, le développement de l'assurance cyber soulève des questions éthiques et sociétales importantes. Le paiement des rançons par les assureurs en cas d'attaque par ransomware fait notamment débat, certains estimant que cela encourage les cybercriminels. La définition de bonnes pratiques au niveau de la profession sera nécessaire pour trouver le juste équilibre entre protection des assurés et responsabilité sociétale.

Malgré ces défis, les perspectives de croissance du marché français de l'assurance cyber restent très favorables. La prise de conscience croissante des entreprises face à la menace cyber, couplée aux nouvelles obligations réglementaires comme la directive NIS 2, devraient soutenir une forte demande dans les années à venir. On estime que le marché français pourrait atteindre 1 milliard d'euros de primes à l'horizon 2025.

Pour répondre à cette demande, les assureurs devront continuer à innover, tant sur le plan des produits que des services associés. L'intégration de services de prévention et d'accompagnement (formation, audit, benchmarking) au sein des polices cyber semble notamment une tendance de fond. Certains assureurs réfléchissent également à des modèles de tarification dynamique, s'ajustant en temps réel au niveau de risque de l'assuré.

In fine, le développement du marché de l'assurance cyber en France constitue un enjeu stratégique majeur, tant pour la résilience des entreprises que pour la souveraineté numérique du pays. Une collaboration étroite entre assureurs, pouvoirs publics et entreprises sera nécessaire pour relever les défis à venir et faire émerger un écosystème cyber robuste et innovant.